Parti de gauche – Front national : les trompeuses convergences des « extrêmes »

On entend souvent les commentateurs politiques associer les électeurs du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon et ceux du Front national de Marine Le Pen. Ces électeurs seraient représentatifs d’une France « fermée », repliée sur elle-même, en opposition à la France « ouverte » défendue en général par les partis moins radicaux. Et ce clivage ouvert-fermé remplacerait aujourd’hui un clivage gauche-droite rendu caduc par la mondialisation.

Il est incontestable que Parti de gauche et Front national se rejoignent sur un certain nombre de points : tous les deux rejettent l’Europe et la mondialisation libérale, tous les deux critiquent l’euro et la politique allemande, et leurs leaders partagent à la fois un anti-américanisme viscéral et une certaine admiration pour Vladimir Poutine. Mais cela suffit-il à les réunir dans une même France du repli sur soi ? Car au-delà de ces positions, qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’immigration ou d’identité nationale ? Et sur le reste, que ce soit la politique fiscale, la politique en faveur des entreprises, le mariage homosexuel, ou encore la lutte contre la délinquance, quelle proximité y a-t-il entre ces deux tendances politiques ? Grâce aux statistiques réunies au moyen du Politest, nous disposons des réponses de plusieurs milliers de sympathisants du Parti de gauche et du Front national qui montrent qu’il n’y a finalement pas grand chose de commun entre les deux électorats.

Commençons par ce qui les réunit : la critique de la mondialisation. Parmi les cinq réponses qui sont proposées dans le Politest sur le thème de la mondialisation (cliquer ici pour les visualiser), sympathisants PG comme sympathisants FN sont 80% à choisir une des deux positions les plus interventionnistes.

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(Les réponses de 1 à 5 vont de la plus interventionniste à la plus libérale.)

Mais sur tous les autres thèmes de l’axe économique et social abordés dans le Politest, les différences sont bien marquées : les sympathisants PG plébiscitent les positions les plus interventionnistes (réponses 1 et 2), alors que les sympathisants FN choisissent souvent des positions libérales (réponses 4 ou 4-5), et même parfois ultra-libérales (réponses 5).

Les impôts
(cliquer sur le titre du graphique pour voir la liste des réponses proposées)

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La pauvreté et l’exclusion

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Les services publics et la place de l’Etat

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Les entreprises

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Autre grande thématique : les manières de vivre. Les réponses proposées dans le Politest vont de très « laisser-faire » (réponse 1) à très « conservatrice » (réponse 5). Quand les sympathisants PG choisissent majoritairement les positions « laisser-faire » (réponses 1 et 2), ceux du FN choisissent souvent les positions « conservatrices » (réponses 4 et 5). Mis à part sur la place de la religion, où les sympathisants FN semblent presque aussi « laisser-faire » (c’est-à-dire, en fait, critiques à l’égard de la religion) que les sympathisants PG.

La religion
(cliquer sur le titre pour visualiser les réponses)

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L’homosexualité

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Le droit à l’avortement

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Les drogues

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Enfin, sur les questions en rapport avec les notions d’identité et de responsabilité, le clivage entre sympathisants PG et FN est flagrant. Parmi des positions qui reposent, dans des proportions variables, sur l’importance (pour expliquer ce qu’on est et comment on se comporte) du « contexte » d’une part et de la « naissance » d’autre part, les sympathisants PG choisissent très majoritairement celles qui mettent l’accent sur le « contexte » (réponses 1 et 2) alors que les sympathisants FN choisissent quasi-systématiquement celles qui mettent en avant la « naissance » (réponses 4 et 5).

La lutte contre la délinquance
(cliquer sur le titre pour visualiser les réponses)

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Le droit de vote et la nationalité

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L’immigration

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On a donc d’un côté une tendance qui rejette la mondialisation dans une logique économique antilibérale, mais qui défend les immigrés et leur intégration dans la communauté nationale, est « laisser-faire » au niveau des moeurs, et favorable aux politiques de prévention en matière de délinquance : une tendance de gauche, donc, antilibérale mais « ouverte » sur l’étranger ; et de l’autre une tendance qui, certes, rejette la mondialisation, mais sans pour autant être antilibérale sur le plan économique, qui est hostile à l’immigration, pour une définition restrictive de la nationalité, pour des politiques répressives en matière de lutte contre la délinquance et plutôt conservatrice sur les moeurs : en bref, une tendance de droite « fermée » sur l’étranger.

Difficile donc d’associer ces deux électorats. Et à l’heure où le Brexit donne plus de poids aux eurosceptiques et oblige à repenser le sens qu’on veut donner à l’Union Européenne, ce genre de confusion pourrait s’avérer lourde de conséquences.

4 réflexions au sujet de « Parti de gauche – Front national : les trompeuses convergences des « extrêmes » »

  1. Spirited

    J’ai l’impression qu’au FN il y a principalement 2 grosses tendances différentes sur le plan économique : une plus à droite et plus libérale qui se rapproche des Républicains, et une plus à gauche et interventionniste qui se rapproche clairement du Front de Gauche. La première tendance étant notamment représentée par Marion Maréchal-Le Pen et la seconde par Marine Le Pen et Florian Philippot.

    Sinon, puisqu’il est quand même un des grands thèmes actuellement, quel positionnement aurait Trump sur vos 3 axes ? (même si le test est plutôt orienté vers la politique française et non américaine)

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    1. Laurent Cald Auteur de l’article

      Bonjour Spirited,
      Je suis d’accord avec vous : il y a bien au FN deux tendances sur l’économie. Mais tout se passe comme si ces débats internes laissaient les électeurs du FN indifférents : eux, apparemment, ce qui les intéresse, c’est la position du FN sur les frontières, que ce soit pour se protéger des importations ou pour se protéger des étrangers. Je pense que l’enjeu de ces débats pour le FN est plus de savoir vers quel nouvel électorat se tourner pour avoir une chance de remporter des élections, au-delà de sa base électorale actuelle.
      Quant à Donald Trump, il me semble qu’il est très proche de la ligne de Marine Le Pen : protectionniste (mais sans faire croire, lui, qu’il est anti-libéral !), pas spécialement conservateur sur les moeurs, et à l’extrême droite sur les questions identitaires.

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  2. Fournier Dorothée

    « Il est incontestable que Parti de gauche et Front national se rejoignent sur un certain nombre de points : tous les deux rejettent l’Europe et la mondialisation libérale, tous les deux critiquent l’euro et la politique allemande, et leurs leaders partagent à la fois un anti-américanisme viscéral et une certaine admiration pour Vladimir Poutine ».
    Le parti de gauche ne rejetait pas l’Europe. ou alors écrire Europe et mondialisation libérales avec un s.
    Quel mauvaise connaissance des programmes. Il n’y a pas de rejet. Mais d’opposition aux politiques économique et monétaire telles qu’elles se pratiquent actuellement. C’est plutôt une autre Europe que souhaitait mettre en place le PG et que défend actuellement la France Insoumise. Je vous invite d’ailleurs à lire le programme en entier. C’est vite fait lu pour des étudiants de SSPO

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  3. Musard

    Le FDG et le FN sont diamétralement opposés sur des tas de questions.

    Pour le FDG un peuple c’est uniquement un projet et des principes. Ce qui fait qu’on est français, ce n’est pas une langue, une histoire, ou une certaine culture. C’est uniquement le projet politique. Alors que pour le FN (et d’ailleurs d’autres partis), la France c’est à la fois un projet politique et tout cet aspect culturel et historique.

    De cette conception des choses découle les différences sur l’UE. Pour le FDG le fait que la France soit indépendante et souveraine n’est pas un objectif en soi. Le FDG est aujourd’hui « souverainiste » car il est hostile au projet européen actuel. Si il y était favorable, il serait fédéraliste. Et ne verrait aucun problème à dissoudre la France dans l’Europe.

    Concernant le rapport à l’étranger, c’est la même chose. Le monde est appréhendé principalement du point de vue de la « lutte des classes » pour faire simple. L’idée que deux populations « prolétaires » ne puissent pas vivre ensemble à cause de différences culturelles ou identitaires leur est totalement étrangère.

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